Figures de femmes : représentations féminines dans la peinture au XIXe siècle

Qu’elles soient les épouses ou les muses des artistes, des modèles professionnelles ou des clientes à la recherche d’un portrait, les femmes occupent une place centrale dans l’histoire de l’art, donnant lieu à une multitude de représentations. Mais au milieu du XIXe siècle, les artistes modernes — impressionnistes ou symbolistes, délaissent les sujets traditionnels. Les déesses antiques et odalisques orientales cèdent alors la place aux femmes modernes, permettant aux peintres de se faire les témoins d’une époque en pleine mutation, aussi bien sur le plan social qu’artistique.

Des canons réinventés : métamorphose du nu féminin

Malgré leur volonté de rompre avec les conventions artistiques du passé, les impressionnistes et leurs contemporains continuent de puiser dans des sujets largement représentés à travers l’histoire de l’art. À partir de ces images, ils cherchent à renouveler les canons de la peinture. Ainsi, les nus, que l’on observe dès l’Antiquité, ne disparaissent pas totalement de leurs œuvres.

  • Edgar DEGAS (1834-1917)
  • Le Petit-déjeuner après le bain, vers 1894.
  • Pastel sur papier, 104,5 x 68,3 cm

Edgar Degas en fait même l’un de ses thèmes de prédilection, comme en témoignent ses pastels et dessins des années 1880-1890. Loin des représentations idéalisées du nu académique, ses modèles sont présentés de manière brute, dans leur intimité quotidienne, sans élégance ni érotisation.
Il déclare :

« Jusqu’à présent, le nu avait toujours été représenté dans des poses qui supposent un public. Mais mes femmes sont des gens simples… Je les montre sans coquetterie, à l’état de bêtes qui se nettoient. »

Georges Janniot, « Souvenirs sur Degas » dans La Revue Universelle, 15 octobre 1933.

Dans Le Petit déjeuner après le bain (vers 1894) ou Femme à sa toilette (vers 1895-1903), les corps sont saisis sur le vif. Influencé par la photographie, Degas étudie et décompose le mouvement et place le spectateur face à un réalisme déroutant, témoin d’un regard neuf sur le corps féminin.

  • Edgar DEGAS (1834-1917)
  • Femme à sa toilette, vers 1895-1903.
  • Fusain et pastel rehaussés à la craie blanche sur papier, 105 x 74,7 cm

La femme symboliste entre vice et vertu

À partir des années 1880, l’émergence du symbolisme donne naissance à de nouvelles représentations féminines, souvent marquées par des stéréotypes. Dans un courant qui puise dans le mystère, la légende et les récits bibliques ou mythologiques, la femme apparaît dans une dualité fantasmée, largement héritée de la tradition chrétienne : elle est soit angélique, soit maléfique. Cette opposition se retrouve notamment dans les œuvres de Gustave Moreau, qui contribue à façonner plusieurs archétypes.

  • Gustave MOREAU (1826-1898)
  • Suzanne et les Vieillards, vers 1895.
  • Huile sur toile, 81,3 x 66 cm

D’un côté, la femme fatale occupe une place centrale dans son imaginaire, comme en témoignent ses nombreuses représentations du mythe de Salomé. Dans Suzanne et les vieillards (vers 1895), épisode bien connu de la Bible, la chaste Suzanne, figure de pureté, est transformée en séductrice offerte au regard du spectateur. Moreau évacue presque totalement les vieillards de la scène pour concentrer l’attention sur un corps sensuel et envoûtant, incarnation d’un féminin tentateur, voire dangereux, perçu comme responsable du péché originel.

  • Gustave MOREAU (1826-1898)
  • Sainte Cécile (Les Anges lui annoncent son prochain martyre), 1897.
  • Huile sur bois, 73,2 x 60 cm

À l’inverse, Sainte-Cécile (1897) apparaît, dans un style inspiré de l’art médiéval, comme un idéal de la femme vertueuse, symbolisant les valeurs propres à son genre comme la piété ou la chasteté. Avec ces figures, le symbolisme cristallise une image allégorique de la femme qui oscille entre la vertu et le péché, le bien et le mal, la vie et la mort, la beauté et le mystère.


Portraits de femmes, visages d’un siècle

En parallèle de la peinture religieuse ou mythologique, délaissée par les impressionnistes, le genre du portrait connaît une période très prospère au cours du XIXe siècle. Avec l’essor de la bourgeoisie, les artistes se tournent parfois vers des carrières de portraitistes, qui leur assure un certain confort financier. À ce titre, Giovanni Boldini perpétue la grande tradition du portrait d’apparat. Ses modèles, issues des élites parisiennes ou de l’aristocratie britannique, affichent luxe et raffinement.

  • Giovanni BOLDINI (1842-1931
  • Signora Diaz Albertini,, 1909.
  • Huile sur toile, 104,5 x 97,5 cm
    Collection Nahmad

La Signora Diaz Albertini (1909) pose habillée d’une robe en soie ; son manteau de fourrure et ses nombreux bijoux soulignent sa richesse et son élégance.

Mais dès la fin du XIXe siècle, le portrait n’est plus réservé aux cercles mondains. Henri de Toulouse-Lautrec, bien que noble de naissance, s’installe à Montmartre et s’attache à représenter toutes les femmes, indépendamment de leur statut social.

  • Henri de TOULOUSE-LAUTREC (1864-1901)
  • À Batignolles, 1888.
  • Huile sur toile, 92,2 x 65,3 cm

Dans À Batignolles (1888), une ouvrière du quartier adopte une attitude digne des plus grandes femmes du monde. Si sa toilette est plus sobre, elle permet à l’artiste de jouer avec les couleurs, opposant les teintes claires de la peau aux couleurs flamboyantes de la chevelure, le tout contrastant avec les nuances colorées d’une robe sombre.

  • Amedeo MODIGLIANI (1884-1920)
  • Jeune fille à la chemise rayée, 1917.
  • Huile sur toile, 92 x 60 cm

Trente ans plus tard, Amedeo Modigliani brosse le portrait de la femme moderne, ancrée dans un nouveau siècle. Dans Jeune fille à la chemise rayée (1917), Renée Kisling incarne une féminité libre et audacieuse : cheveux courts, maquillage appuyé, vêtements empruntés au vestiaire masculin. Ainsi, de la Belle-Époque aux années folles, le portrait féminin évolue, révélant les profondes mutations de la société.

Ainsi, à travers le nu, le portrait ou les figures allégoriques, les femmes deviennent, au XIXe siècle, les témoins privilégiées des mutations de leur temps. Tantôt réalistes, tantôt fantasmées, leurs représentations racontent une histoire du regard : celui des artistes, mais aussi celui d’une société en pleine transformation.

Visuel de couverture : Vue de l’exposition La Collection Nahmad. De Monet à Picasso (28 mars – 29 juin 2025) / Photo : Aurélien Papa