L’histoire du nihonga

Bien que le terme « nihonga » soit apparu de manière relativement récente, la pratique de cette peinture possède une longue histoire.

Aux origines du nihonga

Pour comprendre la genèse du nihonga, il faut remonter à l’époque de Nara (710-794). Durant cette période, le Japon intensifie ses échanges avec la Chine et absorbe ainsi différents aspects de sa culture. De cette manière, les beaux-arts se développent, de même que l’artisanat et la littérature, ou encore les religions. En effet, le bouddhisme, importé de Chine et de Corée, était devenu religion d’État en 592, pendant la période d’Asuka (milieu du Vie siècle – 710) prenant le pas sur d’autres croyances comme le shintoïsme, qui ne disparait pas pour autant et reste aujourd’hui la religion la plus ancienne du Japon. Mais cette influence s’essouffle au cours du IXe siècle : la dynastie chinoise des Tang étant sur le déclin, les relations sino-japonaises sont rompues au profit d’un isolement volontaire de quatre siècles, au cours duquel le Japon développe une réelle identité nationale et une culture propre. C’est le début de l’époque Heian (794-1192), littéralement « paix » en japonais. Considéré comme un âge d’or de l’art et de la culture japonaise, on peut situer le premier développement du nihonga lors de cette période.

Le nihonga désigne en effet une technique mais aussi un « sentiment esthétique » de l’âme japonaise. On peut ainsi regrouper sous ce terme différents styles datant de différentes périodes : le yamato-e (« images du Japon ancien ») de l’époque Heian s’inspire de thèmes typiquement japonais, montrant la vie quotidienne et les paysages de l’archipel, dans une esthétique volontairement raffinée, polychrome et décorative. Pendant l’époque de Muromachi (1333-1573), le sumi-e (« peinture à l’encre ») utilise un vocabulaire visuel plus minimal qui repose sur la monochromie, avec une large utilisation de l’encre de Chine. Enfin, on peut également intégrer, en tant que manifestations de nihonga, les œuvres plus tardives des écoles Rimpa et Kano ainsi que l’ukiyo-e (« images du monde flottant »), qui se développent au cours de l’époque d’Edo (1615-1868).

  • Hiramatsu Reiji (né en 1941)
  • Concerto de nymphéas et de cerisiers, 2020.
  • Giverny, musée des impressionnismes

Développement du nihonga à l’aube d’une nouvelle ère

Cependant, le nihonga n’est théorisé, en tant que « style », qu’au cours de l’ère Meiji (1868-1912). En cette seconde moitié du XIXe siècle, le Japon fait face à des pressions de la part de grandes puissances mondiales, notamment des États-Unis, qui réclament la fin de la politique isolationniste du pays, mise en place au cours de l’époque d’Edo. Le traité de Kanagawa, signé en 1854, met fin à l’autarcie du Japon, et rétablit les liens commerciaux avec l’Occident. Rapidement, des liens culturels et diplomatiques vont se nouer, si bien que le Japon participe pour la première fois à l’Exposition Universelle en 1867 à Paris. À cette occasion, la France et l’Europe observent avec fascination l’art et les savoir-faire de l’archipel nippon. Ces découvertes ont un grand retentissement dans les sphères artistiques parisiennes. De nombreux artistes, dont les impressionnistes, intègrent les principes de la peinture japonaise. On parle alors d’une vogue du « japonisme ».

En retour, la peinture européenne fait son entrée au Japon, favorisée par le gouvernement qui envoie de jeunes artistes à travers le monde et invite des peintres occidentaux à enseigner dans les facultés. Le yōga (peinture occidentale) s’oppose alors au nihonga (peinture japonaise), un terme en apparence générique, mais pourtant un mot nouveau, qui qualifie à partir de 1882 un style à part entière, particulier et original, et surtout, fondamentalement japonais. Le directeur de l’école des Beaux-arts de Tokyo, Okakura Tenshin, invite à partir de 1887 ses élèves et collègues à redécouvrir et valoriser cet art, jusqu’à en revendiquer la supériorité.

C’est dans ce contexte qu’en 1882, le Ryûchikai (Étang du dragon), l’association japonaise des arts, établit de manière officielle les cinq grands principes du nihonga :

  • Le réalisme photographique n’est pas pris pour modèle
  • Les figures sont sans ombre
  • Le contour est souligné
  • La matérialité de la couleur est sans épaisseur
  • L’expression est simple

De manière générale, on peut aussi définir le nihonga comme un art profondément lié à la nature, en accord avec la culture et l’histoire du Japon. La nature se retrouve au cœur des œuvres nihonga, tant dans les sujets des images que dans les matériaux utilisés par les artistes. Ils privilégient les supports naturels tels que la soie, le bois, ou plus largement le papier japonais (washi), et peignent à l’aide de pinceaux et brosses en poils d’origine animale, qui peuvent être des poils de chat, de chèvre, de cheval, ou encore de belette et de blaireau. La peinture elle-même est un mélange de colle (nikawa), fabriquée à partir d’une gélatine provenant de peau et/ou d’os d’animaux, et de pigments. Là encore, les pigments sont naturels, d’origine minérale, garantissant une grande qualité de la couleur. Les bleus et les verts représentent, dans la tradition, les deux couleurs les plus caractéristiques de la pratique. Ces teintes sont respectivement obtenues grâce au broyage de la poudre de l’azurite et de la malachite, mais on en trouve des nuances avec d’autres pierres comme lapis-lazuli pour le bleu, l’amazonite pour le vert. Les peintres utilisent également le cinabre pour le rouge ou le mica pour le blanc. L’encre de Chine ou les feuilles métalliques (feuilles d’or ou de cuivre par exemple) peuvent aussi être utilisées pour leur effet décoratif.

  • Hiramatsu Reiji (né en 1941)
  • Giverny, reflet sur l’étang, automne , 2020.
  • Giverny, musée des impressionnismes

Quelle place pour le nihonga dans le paysage artistique du Japon contemporain ?

Depuis l’ère Meiji (1868-1912), le nihonga est enseigné dans les écoles d’art au même titre que le yōga, mais après la Seconde Guerre Mondiale, le Japon est fortement influencé par les États-Unis, qui occupent le territoire jusqu’en 1952. Hiramatsu Reiji, qui grandit au cours de cette période où les pratiques culturelles du Japon s’occidentalisent rapidement, raconte ainsi qu’il découvre d’abord la peinture d’artistes comme Monet, Van Gogh ou Cézanne, abordés dans les programmes scolaires. Plus tardivement, il apprend le nihonga, dans lequel il se spécialise lors de son entrée dans la section beaux-arts du lycée Asahigaoka de Nagoya.

Le nihonga est donc un art qui se développe à l’image de l’histoire du Japon, entre intégration et refus des influences étrangères, qu’elles soient chinoises ou occidentales. Alors qu’il renaît au milieu d’une crise d’identité culturelle, et qu’il se revendique comme une manifestation de la Beauté japonaise, l’influence de la peinture occidentale apparaît cependant comme une charnière de son histoire qui en détermine un nouvel essor.