Les femmes artistes dans la collection du musée des impressionnismes Giverny

Les femmes artistes dans la collection du musée des impressionnismes Giverny

Claude Monet, Gustave Caillebotte, Pierre-Auguste Renoir… Parmi ces noms de grands hommes, les femmes sont rares au sein du groupe impressionniste. En France, la figure de Berthe Morisot reste aujourd’hui celle qui incarne, pour le grand public, un impressionnisme au féminin.

L’impressionnisme est loin d’être l’apanage des hommes : aux côtés de Berthe Morisot, récemment mise à l’honneur à travers plusieurs expositions, figurent Mary Cassatt, Eva Gonzalès ou encore Marie Bracquemond, dont l’importance longtemps sous-estimée, fait aujourd’hui l’objet d’une revalorisation grâce aux recherches récentes. Cette présence, encore discrète, témoigne d’une époque où les femmes commencent à accéder plus largement aux carrières artistiques et à s’affirmer dans un système jusque-là dominé par les hommes.

Giverny, au temps de l’impressionnisme

Si l’on associe spontanément Giverny à l’œuvre de Claude Monet, il faut rappeler que, dès le XIXᵉ siècle, le peintre est loin d’être le seul artiste installé dans le village. Aux côtés de la colonie d’artistes venue s’imprégner des grandes leçons de l’impressionnisme auprès du maître, se trouve dans son entourage proche une jeune peintre prometteuse : Blanche Hoschedé. Fille de la seconde épouse de Monet, elle n’a que onze ans lorsqu’elle rencontre le peintre. D’abord simple observatrice, elle devient peu à peu son assistante, l’aidant à porter toiles et chevalet et à préparer les couleurs. Séduit par son enthousiasme, Monet l’encourage à peindre à son tour : elle devient alors son unique élève.

Lorsque la famille s’installe à Giverny, Blanche Hoschedé a dix-huit ans. En véritable impressionniste, elle peint en plein air aux côtés de son mentor. Entre 1883 et 1897, leurs styles sont très proches. De cette période, le musée des impressionnismes conserve un carnet de croquis, dans lequel elle dessine des marines ou des vues de jardins. Après le décès de son époux Jean Monet (le fils aîné du peintre) en 1914, puis celui de Claude Monet en 1926, Blanche, désormais Hoschedé-Monet, reprend activement la peinture.

À une époque où l’impressionnisme passe de mode, elle reste fidèle à ce style, peignant paysages et natures mortes dans une palette vibrante et contrastée, au moyen de touches libres et légères. Dans l’exposition Les Collections au jardin est présentée la toile Lupins et pavots, un hommage touchant à Claude Monet. Après la disparition de celui-ci, Blanche Hoschedé-Monet occupe la maison de Giverny et continue à peindre les jardins tant aimés de son beau-père. Elle apparaît ainsi comme une figure majeure de l’impressionnisme tardif, jouant un rôle essentiel de transmission, non seulement d’une manière de peindre, mais aussi d’un lieu, la maison de Giverny, qu’elle préserve avec soin jusqu’à sa mort en 1947.

Blanche Hoschedé-Monet, Lupins et pavots
  • Blanche Hoschedé-Monet (1865-1947)
  • Lupins et pavots, s.d..
  • Huile sur toile, 100 x 60 cm. Collection du village de Giverny en dépôt au musée des impressionnismes Giverny, 2009, MDIG D 2009.1.1


Au cours de sa première période givernoise, Blanche Hoschedé-Monet se lie d’amitié avec certains artistes installés au village, notamment Lilla Cabot Perry, peintre américaine venue se familier avec l’impressionnisme. La communauté artistique locale compte plusieurs femmes, comme les peintres Mary Fairchild MacMonnies ou Mary Colman Wheeler, dont le musée des impressionnismes conserve l’œuvre Thé au jardin, daté de 1910.

Peintre mais aussi professeure de peinture, Mary Colman Wheeler, issue d’un milieu progressiste, fonde en 1889 une école pour jeunes femmes à Providence, dans le Rhode Island. Chaque été, elle emmène ses élèves en France pour y étudier la langue et l’art. Son style évolue alors vers l’impressionnisme, un phénomène renforcé par sa fréquentation de Giverny, où elle séjourne avec sa classe pour leur apprendre la peinture sur le motif. Là, professeure et étudiantes se mêlent à la colonie et fréquentent même certains membres de la famille Monet. En effet, la Wheeler School loue la maison voisine de celle de l’impressionniste, Le Hameau (où a également séjourné Lilla Cabot Perry), dont on distingue le jardin fleuri dans Thé au jardin.

Bien que l’identité du modèle attablé demeure inconnue, il s’agit certainement d’une étudiante de l’artiste. Dans cette œuvre, Mary Colman Wheeler combine avec habileté plusieurs genres : le portrait, le paysage d’arrière-plan et la petite nature morte disposée à gauche. De plus, elle affirme ici sa maîtrise de la couleur et sa proximité avec les recherches impressionnistes, notamment sur les contrastes colorés. L’orange de l’ombrelle se détache vivement de sa couleur complémentaire, le bleu de la robe, tandis que le vert du feuillage dialogue avec les rouges et les roses de la végétation.

  • Mary Colman Wheeler
  • Thé au jardin, 1910.
  • Huile sur toile, 84 x 74 cm
    Giverny, musée des impressionnismes, don des enfants de Richard Warren Wheeler et Betty Ann Owens Wheeler, grâce à Robert Martin et à la Wheeler School, Providence, Rhode Island, États-Unis

L’art contemporain, miroir des impressionnismes

Au XXe siècle, la place des femmes dans le milieu de l’art continue d’évoluer : en 1897, l’école des Beaux-Arts s’ouvre aux étudiantes féminines, jusqu’alors exclues de l’enseignement artistique public. En 1900, l’Exposition universelle de Paris accueille pour la première fois un Pavillon des femmes artistes, même si l’on pourrait regretter la séparation genrée entre les œuvres. Le nombre de femmes exposant aux Salons artistiques croît régulièrement, tout comme leur participation aux mouvements d’avant-garde et leur présence dans le commerce de l’art, à l’image de Gertrude Stein ou Berthe Weill.

Aux États-Unis, Joan Mitchell se fait une place parmi les grands noms de l’art abstrait, aux côtés de Jackson Pollock, Mark Rothko, ainsi que ses homologues féminins Elaine de Kooning, Helen Frankenthaler ou Lee Krasner. Mitchell développe une peinture gestuelle, caractérisée par l’intensité de sa palette et la vibration de ses touches. Sans repère figuratif, la présence de son œuvre La Grande Vallée IX dans l’exposition Les Collections au jardin, au musée des impressionnismes Giverny, pourrait surprendre. Pourtant, elle s’inscrit parfaitement dans la collection : son travail illustre l’héritage des œuvres tardives de Monet et leur influence sur les peintres de l’expressionnisme abstrait.

Dans les années 1950, les Nymphéas rencontrent un succès remarquable aux États-Unis, et Monet ne tarde pas à devenir un « impressionniste abstrait », considéré comme précurseur de ces nouvelles générations de l’abstraction, marquées par la vitalité du geste et l’exploration de la couleur. L’œuvre de Joan Mitchell dans la collection du musée met ainsi en valeur la pluralité « des impressionnismes », terme choisi pour le nom de l’établissement lors de sa création en 2009.

  • Joan Mitchell
  • La Grande Vallée IX, 1983 – 1984.
  • Collection FRAC Normandie, dépôt au musée des impressionnismes Giverny en 2009

Dans cette logique de dialogue entre les époques, le musée accorde une place de choix à l’art contemporain, permettant de renouveler le regard et de réinterpréter l’impressionnisme selon une approche moderne. À ce titre, les femmes y sont régulièrement mises à l’honneur.

Eva Jospin est la première artiste contemporaine à avoir été invitée par le musée, en 2021, à la fois en tant que plasticienne et commissaire de l’exposition Eva Jospin. De Rome à Giverny. Très inspirée par les formes végétales et les jardins italiens, ses forêts de carton, ses broderies et ses sculptures offrent un contrepoint onirique aux œuvres de Caillebotte, Monet ou Bonnard qui composent la collection. Le musée lui a également commandé deux sculptures, Edera et Bois des nymphes, qui ont rejoint le fonds du musée et ornent désormais les jardins.

En 2024, la collection s’enrichit d’une nouvelle toile contemporaine : La Berge, peinte par Maude Maris et présentée au musée d’Orsay lors du « Jour des Peintres », en septembre de la même année. Avec cette œuvre, le lien entre l’art moderne du XIXᵉ siècle et la jeune peinture du XXIᵉ siècle se renforce encore. Cent cinquante ans après la naissance de l’impressionnisme, Maude Maris s’inspire de ses innovations picturales : la touche rapide et libre, les couleurs vibrantes rappelant Bonnard, le cadrage tronqué hérité de la photographie, ou encore le sujet du cheval, qui évoque les toiles de Degas.

  • Maude Maris
  • La Berge, 2024.
  • Giverny, musée des impressionnismes, achat à l’artiste en 2024

Ainsi, des pionnières de l’impressionnisme aux artistes contemporaines, les femmes ont contribué, chacune à leur manière, à faire évoluer le regard porté sur la création. En valorisant leur présence dans ses collections et ses expositions, le musée des impressionnismes Giverny souligne la continuité d’un même esprit : celui de l’expérimentation, de la modernité et d’une liberté sans cesse nourrie d’un rapport intime à la nature.


Visuel de couverture : Vue de l’exposition Les Collections au jardin (11 juillet – 2 novembre 2025) / Photo : Aurélien Papa